LES SÉRIES ET NOUS
Partie 2/2 : Série vs Cinéma
Publié le 17/04/2019
Les séries télévisées suscitent un engouement populaire indéniable depuis maintenant plus de 10 ans, au point de devenir un véritable fait social. Hélas, nos échanges sur les séries télévisées se limitent bien souvent à leur contenu. Apprendre ce qu'il s'y passe, « suivre » voilà ce qui importe. Le visionnage d'une série s'apparente donc parfois à une course épuisante pour rester à la page. La fiction se mêle notre quotidien dans un rapport si ténu que tenter d'analyser la série en tant qu'objet esthétique revient alors à rompre un charme. Un acte que ni les spectateurs, ni les critiques professionnelles ne semblent prêt à accomplir. Mais pas d’inquiétude, The Look of Pop s’en est chargé !
I.“De la photographie de gens qui parlent”
Dans son légendaire entretien avec François Truffaut, Alfred Hitchcock déplore l'arrivée du “parlant” dans les années 30 qui, selon lui, a sonné la fin d'un certain âge d'or du cinéma. Il est vrai qu'en l'absence de sons, le cinématographe s'était construit au fil du temps un langage purement visuel. Dans les années 20, la plupart des films avaient beau être adaptés de pièces de théâtre, l'impossibilité technique d’enregistrer le son obligeait les artistes à inventer un langage par l'image. On reconnaissait alors un bon metteur en scène à sa capacité à utiliser le moins d'intertitres possible.
Avec l'arrivée du “parlant” dans les années 30, le cinéma, selon Hitchcock, s’est « figé dans une forme théâtrale ». Le cinéaste va même jusqu’à affirmer que la plupart des films s'apparentaient à « de la photographie de gens qui parlent ». Sans être aussi sarcastique, on reconnaîtra tout de même que, dans ses pires travers que sont le soap ou la telenovelas, la série télévisée n'est pas très éloignée de la description qu'en fait le maître du suspens.
Les séries télévisées reposent sur un fond immédiatement compréhensible (les mots) au profit d'une forme visuelle (les images) ce qui conforte le spectateur moderne dans des habitudes de consommation et le limite à un certain niveau d'expérimentation des œuvres. Cette approche créative qui met les dialogues et donc l’écriture au centre du processus créatif, cette quête d'une fiction qui serait rationalisée par la langue reste dominante dans les séries télévisées actuelles mais pas seulement. Depuis une décennie, elle déteint sur le cinéma grand public et plus particulièrement sur les blockbusters hollywoodiens en panne d’inspiration. L’avalanche de films Marvel en est un bon exemple.
II. Marvel : la série feuilletonesque au cinéma
En fusionnant la dimension feuilletonesque des comics à celle du cinéma, le studio a accouché d’une gigantesque série télévisée sur grand écran. Au départ, Marvel avait lancé son premier cycle de films (Phase 1) en faisant appel à des réalisateurs de cinéma aguerris ayant des prétentions cinématographiques comme Joe Johnson ou Kenneth Branagh. Après tout, il était question de films à grand spectacle qui allaient demander une certaine expérience en la matière. Mais sentant grandir l’intérêt des spectateurs des années 2010 pour le traitement psychologique de la sérié télévisée, Marvel a progressivement fait évoluer sa stratégie en allant chercher des artistes hybrides, c'est-à -dire à mi-chemin entre la série télévisée et le cinéma : si Josh Whedon, célèbre créateur de Buffy contre les vampires et Serenity saura trouver un équilibre certain entre les deux médiums avec le premier Avengers, Alan Taylor (producteur sur Games of thrones et scénariste sur Mad Men) ne gardera pas un bon souvenir du tournage Thor : le monde des ténèbres dont la fadeur esthétique est révélatrice du changement de cap opéré par le studio durant son deuxième cycle de films (Phase 2).
Mais c’est avec l’enrôlement des frères Russo sur Captain America : Winter soldier en 2014 que Marvel achèvera véritablement sa mue. Purs produits de la télévision où ils officiaient depuis 2003 sur des séries comme Arrested development ou Community, Anthony et Joe Russo ont épuré les blockbusters Captain America : Civil Wars et Avengers : Infinity Wars de tout leurs potentiels cinématographiques pour en faire des épisodes de séries XLL où se télescopent des dizaines de personnages. La mise en scène y est réduite à un support sur lequel trône des intrigues inconséquentes et les séquences d’action abusent d’effets de montage pour mieux cacher leur manque d’inventivité. D’un point de vue cinématographique, le Marvel Cinematic Universe fait pâle figure à côté de la fraîcheur et de la maîtrise visuelle d'un Zack Snyder (Batman versus Superman : Dawn of justice) ou d'un James Wan (Aquaman).
Dans son entretien avec Truffaut, Hitchcock conclue son argumentation sur la narration visuelle par cette phrase : “En résumé, on peut dire que le rectangle de l’écran doit être chargé d’émotions”. Qu'aurait-il pensé en constatant que les blockbusters hollywoodiens, pourtant pourvus des moyens les plus démesurés, auraient renoncé à explorer les possibilités du langage cinématographique pour se réfugier dans la facilité des récits dialogués ? N'oublions pas que le maître avait tourné Psycho (1960), emblème de modernité cinématographique, avec une équipe de tournage de série télévisée ! Preuve qu’au-delà des moyens, subsiste la question de l'intention.
III. Le cinéma dans la série feuilletonesque
Si le cinéma hollywoodien singe la série télévisée, le contraire est également vrai. Contrairement au système hollywoodien actuel, le marché des séries télévisées est ouvert aux expérimentations. On y retrouve une certaine liberté créative qui n'est pas sans rappeler le “Nouvel Hollywood” des années 70 combiné au grande heures du cinéma de genre des années 80. Ainsi, on a pu découvrir ces dernières années des oeuvres de qualités, de genres divers et aux formats atypiques, plus proches des oeuvres de cinéma que du format télévisuel. L'anthologie par exemple à fait un retour remarqué. Rendu populaire dans les années 1950 par la série La quatrième dimension autant que par...Alfred Hitchcock (oui encore lui !), elle consiste à raconter une histoire par épisode et rappelle la forme du court-métrage. La plus notable étant sans conteste Black Mirrors qui a conservé de l'anthologie sa forme originelle. Pour autant, tous les épisodes sont reliés par un thème, une tonalité et une esthétique commune.
True Detective ou encore American Horror stories (ou crime stories) parient sur un format d'anthologie hybride, feuilletonesque oblige ! On raconte une histoire non pas sur un épisode mais sur une saison. Le nombre d'épisodes est cependant limité à une dizaine. Avec un volume d'heures restreint, on se rapproche de la qualité de production d'un film tout en en conservant le confort du temps feuilletonesque qui nous permet de traiter le récit et ses personnages en profondeur. Pour True Detective c'est d'ailleurs Cary Fukanaga qui a réalisé l’intégralité de la saison 1, une rareté absolue dans le milieu de la série télévisée. Depuis 10 ans on retrouve de plus en plus de metteurs en scène de cinéma, déçus par le fonctionnement actuel d'Hollywood, au poste de producteurs exécutif de série télévisée : David Fincher (House of Card, Mindhunter), Franck Darabont (Walking dead) ou Scorcese (Boardwalk Empire) réalisent également les épisodes pilotes (voir plus) afin de “donner le ton” à la série.
Si certaines séries conservent un format purement feuilletonesque, le genre et le sujet choisie les ont poussés à des efforts supplémentaires en matière de cinématographie. Game of thrones est en cela l'exemple le plus probant. En décidant de faire du roman de R.R. Martin une fresque épique calibrée pour le format série, les producteurs David Beniof et D.B West ont repoussé les limites du médium en faisant de Games of Thrones une série à dimension cinématographique en multipliant les tournages en extérieurs et les scènes d'action à grand spectacle.
L'opposition de nature entre cinéma et série tend à s'effacer d'année en année. La technologie et les conditions de productions enchantent les créateurs de tous bords et les nouveaux géants du streaming bouleversent nos habitudes de spectateurs. Mais Le marché est si saturé qu'il est impossible de tout voir et on peut se demander si cette avalanche de contenus qui déferlent sur nos écrans ne nous empêche pas d'apprécier les oeuvres plus en profondeur. L'avenir nous dira si ces évolutions nous auront été profitables. en attendant on vous invite à lire notre dossier pop consacré à Black Sails ( Partie 1/2 : la perle des feuilletons ), une série qui, selon nous, réalise la fusion parfaite entre le médium cinéma et la série télévisée et on vous explique pourquoi !
Clément El Vassort