AVENGERS ENDGAME EST-IL VRAIMENT UN FILM ?
Un film de Joe et Anthony Russo (3H04)
Publié le 26/04/2019
Un an après la sortie de Avengers Infinity Wars, les frères Russo récidivent et posent, avec Avengers Endgame, l'ultime pierre à l'édifice cinématographique des studios Marvel et de son producteur visionnaire Kevin Feige. Cette sortie est un évènement majeur de la pop culture moderne. Les Avengers sont devenus, en l'espace de 10 ans, des icônes mondiales et intergénérationnelles. A l'heure de Netflix, rares sont les films encore capables d'attirer autant les foules au cinéma. Cependant, au delà de son statut de phénomène médiatique, Avengers Endgame (tout comme son prédécesseur), questionne la forme même du cinéma de grand spectacle. A tel point que parler encore de « film de cinéma » semble presque un contre-sens tant les frères Russo ont réduit le langage cinématographique à son minimum au profit de celui de la série télévisée.
Si vous avez manquez le début...et bien bonne chance car il y a un paquet de films à rattraper ! C'est le propre de l'univers cinématographique Marvel (ou MCU) crée par Kevin Feige que de fonctionner comme un gigantesque feuilleton, à la manière des comics dont il est issu. Cela n'a pas toujours été le cas. Les premiers films Marvel étaient des origin story capables de se suffire à eux mêmes. Mais le succès des films de super-héros et l'engouement du public pour les séries télévisées au milieu des années 2000 ont convaincu Feige qu'une nouvelle forme de narration était possible au cinéma. Les films Marvel ont donc progressivement muté jusqu'à ressembler davantage à de gigantesques épisodes de série télévisée qu'à des œuvres cinématographiques. A présent, les films n'ont plus de valeur en soi, ils sont les pièces d'une oeuvre plus vaste qu'il est difficile de juger avec les outils critiques du cinéma classique. Le vocabulaire du feuilleton s'impose. Si vous avez manqué le début donc...Dans l'épisode précédent Thanos, a remporté son combat contre les Avengers et a éliminé la moitié des êtres vivants de l'univers en un claquement de doigt grâce aux six pierres d'infinités. Les Avengers qui ont survécu au cataclysme n'ont pas d'autres choix que de tenter l'impossible : un voyage temporel par le biais de la physique quantique afin de récupérer les pierres d'infinités dans le passé et d'annuler le geste de Thanos.
Ce glissement progressif du MCU vers la série télévisée XXL achevé par les frères Russo plaira sûrement aux inconditionnels du récit feuilletonesque mais il laissera les amoureux du septième art sur le carreau. Avengers Engame n'est pas vraiment l'idée que l'on se fait d'un film de cinéma. Le glissement vers le format télévisée est tel que le langage cinématographique a presque totalement disparu. On a l'impression de regarder un (très) long épisode de soap opera qui empile les séquences dialoguées avec une monotonie rasante avant de délivrer des séquences d'actions dont la forme générique révèle le manque d’intérêt évident des deux réalisateurs dans ce domaine. Quand on a grandi avec les œuvres visionnaires de Georges Lucas, Peter Jackson ou des Wachowsky, on est effaré de voir que Marvel ose confier les reines de ses blockbusters pharaoniques à deux metteurs en scènes au style visuel aussi pauvre. Dans les mains des frères Russo, le cinéma est réduit à l'état de support visuel au service du récit.
Dénuée d'une vision proprement cinématographique, l'intrigue, pourtant séduisante sur le papier, se révèle alors faussement complexe. Pensant révolutionner le récit de voyage temporel au cinéma, les frères Russo prennent un malin plaisir à tordre le coup à Retour vers le futur et consorts à coup de vannes « méta » bien senties. Finalement, ces derniers délivrent peu ou prou la même chose que leurs ainés, les paradoxes temporels en moins. Ces voyages dans le temps à la recherche des pierres auraient pu être l'occasion de construire des effets dramatiques et esthétiques intéressants si seulement les deux réalisateurs avaient su dynamiser leur montage alterné par des idées de mise en scène. Il n'en n'est rien. Cette longue séquence qui constitue le deuxième acte du film est d'un ennui profond et permet surtout à Marvel de se regarder le nombril puisque les personnages se rendent dans le passé, donc dans les films précédents, pour récupérer les fameuses pierres. Au-delà des genres cités, on est une nouvelle fois déçu (mais pas surpris) de constater qu'aucun véritable propos ne se dégage de Avengers Endgame. Malgré la grande quantité de séquences verbeuses, le film ne résonne jamais au-delà de son intrigue. Même Thanos a laissé de côté ses préceptes de philosophie utilitariste pour devenir un méchant pyromane des plus classiques dans un dernier acte téléguidé.
Ce qui sauve les frères Russo, ce sont les personnages et surtout ceux qui constituent la toute première équipe des Avengers. Plus que jamais, ces derniers sont la clé de voute qui soutient ce dernier opus. C'est notre amour pour eux, construit depuis pas moins de vingt films, qui nous permet de tolérer près de trois heures de récit linéaire. Leur destin nous importe car nous avons passé du temps à leur côté et il y a fort à parier que beaucoup verseront leur larme en voyant certains de leurs héros préférés disparaître. Marvel a suivi sa règle d'or jusqu'au bout en prenant soin de toujours placer ses personnages et leur caractérisation au centre de son projet. Reste que les frères Russo ont pris cette règle un peu trop au pied de la lettre au point de se désintéresser complètement de l'univers physique dans lesquels ces personnages évoluent. Les Avengers se retrouvent sauveurs d'un monde dont on ne sent pas la présence. Le cadre est vidé de tout élément expressif et se focalise uniquement sur ces icônes de la pop culture. Du placement de produit permanent au détriment toute vision esthétique. On regrette alors le travail de Josh Whedon (l'ancien chouchou de Kevin Feige), qui avait su trouver un équilibre bien plus viable entre feuilleton et grand spectacle cinématographique sur ses deux premiers opus des Avengers, sans pour autant parvenir à résister complètement au formatage visuel imposé par le studio.
Verdict : Pour Kevin Feige, les frères Russo sont des éléments précieux. Leurs idées courtes sur l'esthétique globale des films lui permettent d'insérer plus facilement les outils de standardisation formels à même d'unifier le MCU. De même, leur appétence pour le format télévisée colle parfaitement au rêve de Feige de retranscrire la narration des comic books au cinéma. Ajoutons à cela l'attelage marketing et le fan service qui font des productions Marvel des produits conceptualisés jusque dans le moindre détail et on se retrouve avec l'un des blockbusters les plus étranges jamais crée. Reste qu'il manque dans Avengers Endgame la vision d'un artiste qui parle la langue du septième art. Et si cela n’empêchera pas Marvel de battre tous les records au box office, l'existence d'une œuvre comme celle-ci questionne l'avenir même du cinéma de divertissement.
Clément El Vassort