COMMUNITY, LA REINE DES SITCOMS
Une série de Dan Harmon (2009-2015)
Publié le 12 mai 2020.
Voir (ou revoir) Community, c’est replonger à une époque pas si lointaine, quand la France ne connaissait pas encore Netflix et regardait ses séries en streaming sur des sites douteux ! Véritable laboratoire comique à la créativité bouillonnante, la série créée par Dan Harmon et diffusée en 2009 sur NBC a dynamité les codes de la sitcom pour mieux déployer une réflexion vertigineuse sur les mécanismes de la fiction. Retour sur une des œuvres télévisuelles les plus emblématiques de la dernière décennie.
Sitcom 3.0
Jeff Winger, un avocat brillant, voit sa vie basculer le jour où il est radié du barreau pour avoir fraudé son diplôme. Contraint de repasser ses examens (pour de vrai cette fois), il intègre la délirante université de Greendale et fait la connaissance d’une bande d’étudiants sévèrement barrée qui va changer sa vie à jamais. Bienvenue dans le monde fou fou fou de Community !
La série de Dan Harmon s’appuie en apparence sur le respect des codes de la sitcom : le format 20 minutes, le comique de situation à coup de dialogues en rafales et la mise en place des séquences rituelles dans des lieux récurrents (la salle d’étude n’est pas sans rappeler le café de Friends ou le bar de How I met your mother). Elle délaisse pourtant la scénographie théâtrale typique du genre (tournage frontal en multi cams, rires enregistrés) pour mieux déployer une véritable mise en scène de cinéma.
On retrouve ce parti pris esthétique dans nombreuses séries comiques de l’époque (Arrested development, The Office, Modern family ou New Girl) qui profitent des nouvelles ambitions formelles de la série hollywoodienne pour renouveler un format devenu poussiéreux. Dans le cas de Community, ce parti pris n’est pas seulement cosmétique mais correspond aux intentions d’écritures post-modernes de son créateur. Dan Harmon souhaitait en effet développer une série capable de remplir son cahier des charges comique tout en réfléchissant sur sa nature de fiction cinématographique.
Libérée de la théâtralité du sitcom et de son réalisme abstrait, Community embrasse le langage du cinéma sous toutes ses formes, des plus banales aux plus fantaisistes. Le cœur de la série ne repose alors plus tant sur les petites intrigues et les relations intimes des personnages que sur la manière de les mettre en scène.
Collage Pop !
Du Western au film de gangster, de l’horreur à la comédie musicale, Community va célébrer durant six saisons le cinéma et ses tropes avec la complicité du spectateur féru de pop culture. Certains épisodes prendront des formes spectaculaires comme les fameuses parties de paint-ball à la sauce western post-apo, d’autres quitteront même les terres de la photographie réaliste pour celles de l’animation, de la pate à modeler ou encore du jeu vidéo.
Plus proche d’American Dad que de The Big Bang Theory, Community épouse volontiers le rythme et la tonalité des séries animées de Seth Macfarlane ou Matt Groening. On retrouvera d’ailleurs Harmon à la création de Rick And Morty, dont le rythme infernal et l’exubérante complexité narrative prolonge le travail entamé sur Community.
Si le véritable créateur d’une série est son show runner, on notera que plus de la moitié des épisodes de la série ont été réalisés par les frères Russo, tristement célèbres pour avoir transformé le blockbuster de cinéma en feuilleton télévisée avec la franchise Avengers (lire notre article).
Parfaitement à l’aise avec le format série dont ils sont issus, les Russo brothers ont su faire exister les ambitions cinématographiques de Harmon sur le plateau grâce à un certain talent pour l’imitation de genres, la citation filmique et la direction d’acteurs. La manière dont le groupe de personnages interagit dans Community n’est d’ailleurs pas sans rappeler la fameuse équipe de supers héros Marvel. Coïncidence ?!
De la bonne utilisation du méta
Bien que boudée par les téléspectateurs lors de sa diffusion, Community fut immédiatement adoptée par la communauté internet qui vit dans ce collage titanesque de références pop une reconnaissance de la culture geek alors en pleine expansion. A travers le personnage d’Abed et sa connaissance maniaque des codes du cinéma, Harmon déploie une posture méta annonciatrice de l’ère post-moderne dans laquelle nous baignons aujourd’hui.
Pour autant, la série ne se complaît pas dans la simple accumulation de références de niches et la mise à distance cynique du spectateur. Au contraire ! Harmon détourne la fonction du “méta” pour mieux réactiver notre croyance en la fiction.
Sous la houlette du « dean », démiurge transformiste et drama-queen (génial Jim Rash), la faculté de Greendale se transforme en un flamboyant studio de cinéma où la limite entre réel et fiction s’efface pour laisser place au pouvoir de l’imaginaire.
Le message de la série se tient là, dans notre besoin viscéral de nous raconter des histoires pour mieux échapper à la froideur du réel. La réutilisation répétée des codes et des tropes de la pop culture n’est pas tant une entreprise cynique de déconstruction de la fiction qu’une une célébration de son pouvoir.
Au-delà de leur fonction comique, les personnages de Community partagent avec le spectateur le même besoin d’évasion par le biais de la fiction. Comme nous, ils se soustraient à leurs responsabilités (passer leur diplôme, trouver un métier, s’émanciper) pour mieux embrasser l’esprit enfantin du pays imaginaire qu’est Greendale.
Sans renier les archétypes, Harmon dote ses personnages d’une psychologie complexe et de questionnements existentiels qui renvoient le spectateur à sa propre condition. Les rappels de leur irréalité par petites touches n’en sont que plus poignants. Là où le méta tends généralement à placer le spectateur dans une position de supériorité par rapports aux personnages, le créateur nous invite ici à tisser avec eux un lien complice, à créer un pont entre réalité et fiction, à faire “communauté”.
Harmon n’hésite pas non plus à partager avec ses spectateurs les menaces d’annulation constantes qui pèsent sur la série, rappelant ainsi la fragilité de son univers fictionnel, ce qui abouti à un season finale aussi brillant que crève cœur.
Dès 2009, Community annonçait l’avènement de la culture geek et du post-modernisme en en proposant un approche plus créative que mercantile. En détournant la posture méta pour mieux réactiver la croyance en la fiction, la série renouvelait notre expérience de spectateur. Aussi intelligente que divertissante, Community reste encore aujourd’hui un O.V.N.I. dans le paysage de la sitcom américaine et mérite amplement son statut de « série-culte ».
Clément El Vassort