BLACK SAILS
Partie 2/2 : Taillée pour le grand écran !
Publié le 17/04/2019
Les « films de pirates » ont toujours été extrêmement difficiles à réaliser car ils demandent des moyens considérables et surtout, ils obligent à tourner sur l’eau. Pour un studio, c'est la promesse d'une production cauchemardesque. En 1984, Roman Polanski eut toutes les peines du monde à réaliser son Pirates, de même pour Renny Harlin, et son Île au pirates, une folie à 137 millions de dollars et l’un des plus gros désastre financier de l’histoire du cinéma. De quoi décourager Hollywood pendant presque 10 ans. Il faudra attendre 2003 et un financement considérable de Disney couplé à une évolution notable des effets numériques pour que Gore Verbinski accepte de s'attaquer à la trilogie Pirates des caraïbes et offre aux spectateurs du monde entier un spectacle enfin à la hauteur du genre. Pour la sérié télévisée Black Sails, le défi était donc de taille !
Une production XXL !
Dès la première saison, Black Sails affiche ses ambitions. Pas question d'esquiver la dimension épique des récits de piraterie en se réfugiant sur des intrigues de salon comme le fit la série Crossbones diffusée la même année sur NBC et qui fut d’ailleurs rapidement annulée. La production de Black Sails s’est déroulée à Cape Town en Afrique du sud dans d’immenses décors dignes d’un blockbuster hollywoodien. Les acteurs qui débarquèrent pour la première fois sur le plateau n’en revenaient pas ! La présence de Michael Bay au poste de producteur exécutif semble justifier cette exigence en matière de gigantisme ! Et si la première saison est davantage centrée sur la ville de Nassau qui est au cœur des enjeux de la série, chaque nouvelle saison est une invitation à explorer d'autres lieux encore plus exotiques, déployant ainsi le vaste échiquier que représentaient les Caraïbes aux yeux des pirates et flibustiers de l'époque.
A mille lieux des « films en costumes » à l'authenticité douteuse, Black Sails nous plonge, avec une précision historique, dans le quotidien des colonies du XVIIIème siècle. L'usure des costumes et des accessoires participent autant à la caractérisation des personnages qu'à l'authenticité de cet environnement hostile. Le maquillage suit, avec une rigueur maniaque, les évolutions physiques des personnages en fonction des événements, au point que l'on est plus surpris de voir nos héros le visage ensanglanté ou couverts de boue pendant des épisodes entiers ! Une manière de rappeler constamment aux spectateurs que le quotidien de ces hommes de la mer n'avait rien d'idyllique. Cette approche “réaliste” du production design participe au style visuel de la série, plus proche des productions historiques de Ridley Scott (Kingdom of Heaven ou Robin Hood) que des visions “romanesques” de Gore Verbinski (Pirates des caraïbes) ou de Zack Snyder (300).
Un régal pour les yeux
Black Sail a belle allure ! La direction photographique met en relief les éléments du production design cités plus haut et leur donne vie. Elle participe également à la dramatisation du récit par la création d'atmosphères envoûtantes. La lumière accompagne et souligne les tourments psychologiques des personnages au fil des saisons, passant d'un éclairage chaleureux et coloré à un autre plus sombre et contrasté à mesure que le récit gagne en intensité dramatique.
De plus en plus élégante au fil des saisons, la série joue la carte de la composition picturale et multiplie les cadres larges et fixes dans lesquels la lumière découpe les silhouettes des personnages pour atteindre dans la dernière saison une maîtrise du clair/obscur stupéfiante, notamment lors des scènes intimistes. L'intégration presque imperceptible des effets spéciaux numériques, par les équipes de Digital Domain, achève de donner à l’univers de Black Sails une ampleur visuelle rare pour une série télévisée. La compagnie de FX, créée par James Cameron, parvient à donner vie à des séquences maritimes bluffantes de réalisme. Le traitement de la lumière et de ses reflets sur les voiles ou la surface de l’eau est si minutieux qu’on est le plus souvent incapables de différencier les navires numérisés de ceux construits en décor réel.
Show ! Don’t tell
La narration, parfois complexe, est rendue dynamique grâce à des effets de montage audacieux. Le montage en “question/réponse”, par exemple, consiste à conclure une scène par une question (ou une affirmation) formulée par un personnage tandis que le premier plan de la scène suivante est chargé d'y répondre, de confirmer ou d'infirmer par l'image. Ce langage narratif récurrent et astucieux maintient un lien entre les personnages et/ou les situations et fait jouer un rôle actif au spectateur qui doit connecter entre elles les informations suggérées en creux par le montage.
Mais c'est dans son utilisation variée du Flashback que Black Sails surprend le plus. D'abord utilisé de manière assez classique dans la saison deux afin de dévoiler les motivations profondes du capitaine Flint, le montage en flashback se fait plus innovant dans la saison trois lors d'un affrontement entre les pirates et la Navy. Plutôt que de reléguer l'action en fin d'épisode, la série nous plonge, dès le début, au cœur de la bataille. Puis, par une série de flashback, elle dévoile progressivement les détails stratégiques discutés en amont par les personnages et qui détermineront l'issue du combat. L’ action n’est plus qu’un simple spectacle pyrotechnique, elle est dramatisée et implique le spectateur dans ses mécanismes.
Le procédé culmine à la fin de la saison quatre tandis que le récit nous conduit inexorablement vers un affrontement entre Silver et Flint. La série opère alors un nouveau flashback qui nous dévoile, cette fois, une scène d'entraînement au sabre entre les deux hommes. Le duel au passé éclaire celui au présent et le montage croise les deux séquences par des effets de raccord dans le mouvement qui brouillent notre rapport à l'espace et au temps. Ici, le langage visuel du montage fait naître une dramaturgie symbolique au-delà des dialogues.
Au coeur de l’action !
L'épisode pilote, réalisé par Neil Marshall, pose les bases esthétiques de la série en terme d’action. Jetés pèle-mêle sur le pont d'un navire lors d'un abordage de pirates, nous sommes placés du côté des victimes. Caméra épaule, angle subjectif qui épouse les regards apeurés, fumée qui dissimule et dramatise l'arrivée de l'ennemi tant redouté. Les codes utilisés sont ceux du cinéma d'épouvante et les pirates sont les monstres.
Le choix de Neil Marshall est doublement pertinent car en plus d'être le réalisateur de l'épisode culte de Games of Thrones « Blackwater, » il est également un spécialiste de films de série B horrifiques (Dog Soldiers, Descent) et intègre naturellement dans cet épisode le discours « méta » de Black Sails sur le rapport qu'entretenaient les pirates avec la mise en scène. Ces derniers usaient de leur terrible réputation pour terroriser leurs victimes et faciliter ainsi les prises de navires. Pour maintenir cette peur vivace dans le cœur des victimes, certains pirates se maquillaient et théâtralisaient leurs abordages. D'après certains témoignages, Barbe-Noire (Edward Teach) s'était laissé pousser une énorme barbe et allumaient des mèches à canon dans ses cheveux dans le but d’effrayer ses ennemis. Lors de la séquence d'ouverture on voit d'ailleurs un des pirates arborer peintures tribales et fausses dents de vampires en référence à ce détail historique.
Dans Black Sails, l'action n'est jamais gratuite, elle s'insère avec fluidité dans le récit et le prolonge. Les choix de mise en scène sont motivés par une volonté de garder le spectateur au plus près des personnages pour le plonger physiquement au cœur de l'action et lui faire sentir le danger de mort constant qui les menace. Chaque coup d'épée, chaque coup de feu a son importance et renforce le traitement viscéral de la série qui n'hésite pas à faire couler le sang.
L’ambiance sonore achève de nous immerger dans l'action, notamment lors des séquences en mer. Le vent dans les voiles, le bois qui craque, les déferlement des vagues sont autant de rappel d'un réel cruel contre lequel il faut lutter en permanence. Et, quand la caméra s'éloigne de l'action à grand renfort de plans larges et de mouvements de caméra vertigineux, c'est pour mieux rendre compte des dimensions incroyables des navires de guerre et plus encore, de l'océan qui s'étend à perte de vue.
Black Sails déjoue habilement le piège du feuilleton interminable, dans la lignée de Game of Thrones ou de Walking Dead, grâce à une narration rythmée et resserrée qui fait surgir l'action régulièrement. La série est traversée tout du long d’un souffle épique qui n’attends pas les fins de saison pour délivrer le spectacle attendu et une satisfaction immédiate aux spectateurs. Elle n'hésite pas non plus à désamorcer nos attentes comme c'est le cas dans la dernière saison qui s'ouvre sur un combat dantesque avant de resserrer son intrigue sur des enjeux plus intimes. Si l‘on ajoute à cela les nombreuses qualités esthétiques que nous venons de citer, on peut être surpris de constater que Black Sails n’ait pas bénéficié de la même reconnaissance critique et publiques que ces aînées. Dommage, car à nos yeux, elle représente l’une des plus belles synthèses jamais faites entre écriture feuilletonesque et spectacle cinématographique.
Clément El Vassort