AQUAMAN : GRANDEUR ET DECADENCE

Un film de James Wan (2H24)

Publié le 17/04/2019

En matière de blockbusters super-héroïques, 2018 aura sans aucun doute été l'année de tous les excès. Tandis qu'Avengers Infinity Wars atteignait, au printemps dernier, l'objectif formel que s'était fixé Marvel il y a dix ans, à savoir accoucher d'un gigantesque épisode de série télévisée, DC de son côté promettait de clôturer l'année en apothéose avec le tout premier "stand alone" de Aquaman. Les bandes annonces laissaient présager un spectacle grandiose, mais la question était de savoir jusqu'où la crise identitaire provoquée par la "tragédie" Justice League allait impacter le dernier rejeton de l'univers DC. 

Et le moins que l'on puisse dire c'est que sur le plan formel rien n'a bougé. Avec l'enrôlement de James Wan au poste de metteur en scène, le studio confirme son attachement à une approche résolument plus cinématographique que feuilletonesque de son univers. On est très loin des réalisations sans âme des films Marvel. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, James Wan c'est la force créatrice derrière les franchise à succès  SawConjuring  et Insiduous dont les meilleurs opus sont de son fait. Encensé pour son sens aiguë de la mise en scène horrifique, sa présence au générique exprime un choix fort et assumé de la part de DC, avait tout intérêt à rectifier le tir afin de calmer la colère des fans après la cruelle éviction de Zack Snyder du tournage de Justice League au profit de Josh Whedon, l'ex-chouchou de Marvel.

Aquaman pose un nouveau jalon dans le cinéma de grand spectacle.
— The Look of Pop

Bien loin de se brider, Wan a donc su profiter au maximum de la latitude octroyée par DC sur le plan formel et nous offre pour Noël une œuvre titanesque. Véritable raz-de-marée visuel déversant sur le spectateur un torrent d'images toutes plus démesurées les unes que les autres, Aquaman pose un nouveau jalon dans le cinéma de grand spectacle. L'univers proposé est si vaste qu'il déborde du cadre. La cité futuriste des atlantes, le peuple maudit des abysses ou encore le monde caché au cœur du noyau terrestre. Dès que l'on pense avoir tracé les contours de ce royaume marin, il s'étend encore un peu plus à la faveur d'une nouvelle séquence. On est finalement plus proche de la science-fiction de Avatar ou de la fantaisie du Seigneur des anneaux que des films de super héros actuels. La créativité de la direction artistique propose le plus souvent des images neuves et inspirées. Les séquences d'actions son l'occasion de véritables ballets visuels qui font l'étalage du talent inné de James Wan pour la gestion de l'espace : lisibilité des mouvements, sens du rythme et du raccord, composition picturale du cadre. Sur la forme Aquaman a tout bon ou presque. Sur le fond c'est une autre paire de manche. 

On peut en effet regretter que ce nouvel opus ne soit définitivement plus paré de l'approche synderienne qui enveloppait d'un voile sombre et dépressive le DC cinematographic universe. Sur ce point Aquaman sonne le glas des blockbusters pour adultes. Certes, l'esprit DC est toujours là, ancré dans un récit aux allures mythologiques et à la tonalité parfois grave. Mais des concessions ont été faites à la forme marvelienne avec l'intégration maladroite d'un humour puérile ou encore l'absence quasi totale de violence graphique. La nouvelle norme du blockbuster moderne en somme. La "crise Snyder" a laissé des traces. DC fait à présent tout pour atténue la tonalité sombre de ces projets. Ironie quand on sait que c'est précisément cette tonalité qui fait la renommée de DC comics depuis des décennies.

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Cette aseptisation impacte également l'écriture des personnages. Sans être non plus le héros "next door" qu'avait commencé à esquisser Whedon dans Justice League, le personnage d'Arthur/Aquaman peine à convaincre. Dans les faits il reste ce demi-dieu contrarié aux pouvoirs démentiels dont raffole tant DC. Seulement Jason Mamoa ne parvient pas à exister autrement que par sa présence physique et les dialogues consternants achèvent d'en faire un héros bourrin. Ne parlons même pas de la relation du personnage avec Méra qui parait forcée et plombe tout le deuxième tiers du film, véritable ventre mou qui atteint des sommets de mauvais goût lors d'une séquence en Sicile des plus mièvre. Il faudra un plan magnifique de Wan lors de la bataille finale pour faire naitre enfin un semblant d'alchimie entre les personnages. Finalement, le héros incarné par l'ancien acteur de Alerte à Malibu est tout à fait à l'image du film : une belle allure mais un cruel manque d'épaisseur.

Sur le plan thématique, le film traite tout de même avec pertinence de la question environnementale et secoue quelque peu la notion de vengeance en offrant une fin surprenante pour un film grand public. Le récit est fluide et Wan se révèle être un excellent conteur en profitant des mouvements de sa caméra dans l'espace pour opérer de belles ellipses temporelles ou intégrer des flashbacks qui racontent la jeunesse du héros. En libérant la caméra de toute contrainte physique, le réalisateur s'approprie également le motif aquatique et nous transmet sensation de liberté qu'offre l'environnement marin. Pour autant, l'utilisation massive du numérique pose problème et on en vient parfois à perdre la sensation de présence organique des décors et de la lumière. On en vient alors à souhaiter que James Cameron ait mené le projet, lui qui a su saisir mieux que personne le potentiel poétique des mondes marins. Car si Aquaman emprunte parfois à Abyss ou à Avatar lorsqu'il qu'il prétend nous faire découvrir un univers inédit, il en oublie finalement la leçon principale : prendre le temps de la contemplation et de l'expérimentation physique de l'univers présenté. Certes Aquaman impressionne, mais il ne fait pas rêver. 

Verdict : James Wan et son équipe artistique ont eu beau déployer des efforts surhumains pour donner vie à l'univers de l'homme poisson, l'honnêteté de leur démarche est hélas rattrapée par la nouvelle obsession de DC pour le conformisme. Résultat : Aquaman est plus souvent grandiloquent que grandiose. Si le studio a volontiers laissé au metteur en scène une certaine liberté créative, elle est circonscrite à sa fonction de metteur en scène et ne doit au aucun cas empiété sur l'écriture et la tonalité globale du film. Sur ce point l'approche auteuriste de l'ère "Snyder" est révolue. DC est à présent trop soucieux de calibrer ses "produits" pour daigner plaire à ses fans hard core. Son objectif : le milliard de dollars Worldwide minimum. Et tous les moyens sont bons…

Clément El Vassort

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