LES SÉRIES ET NOUS
Partie 1/2 : C’est quoi une série télévisée ?
Publié le 17/04/2019
Les séries télévisées suscitent un engouement populaire indéniable depuis maintenant plus d’une décennie, au point de devenir un véritable fait social. Hélas, nos échanges sur les séries télévisées se limitent bien souvent à leur contenu. Apprendre ce qu'il s'y passe, « suivre », voilà ce qui importe. Le visionnage d'une série s'apparente donc parfois à une course épuisante pour rester à la page. La fiction se mêle à notre quotidien dans un rapport si ténu que tenter d'analyser la série en tant qu'objet esthétique revient alors à rompre un charme. Un acte que ni les spectateurs, ni les critiques professionnelles ne semblent prêts à accomplir. Mais pas d’inquiétude, The Look of Pop s’en est chargé !
I. La série : une expérience temporelle
La série télévisée se différencie du cinéma par son rapport particulier au temps. C’est une expérience narrative sur le long terme qui fonctionne sur un principe de répétition et c’est d’ailleurs dans ce rituel de visionnage plusieurs fois répété que s'inscrit notre plaisir de spectateur. En cela, on pourrait dire que la série télévisée est presque plus proche de la littérature que du cinéma. Bien avant la télévision, les “feuilletons” paraissaient de manière épisodique dans les journaux. Les techniques d'écritures, consistant à attiser et entretenir la curiosité du spectateur, n’ont pas beaucoup changé depuis Alexandre Dumas.
Cette expérience temporelle a pourtant ses limites. Trop souvent les séries feuilletonesques s’étirent sans raison jusqu'à nous lasser définitivement. Quelle condition étrange que celle du spectateur de séries télévisées quand on y réfléchit. On y consacre un temps fou sans jamais avoir l'assurance que l'histoire se conclue de manière satisfaisante, voire se conclue tout court ! Or qu'est-ce qu'une histoire qui n'a pas de fin ? Et à bien y réfléchir, parmi toutes les séries que nous avons visionnées, combien en avons nous regardées jusqu'au bout ?
II. Series Addict !
Le visionnage de séries peut également devenir un réflexe de consommation aussi trivial qu'addictif et donc chronophage. On parle alors de "Binge Watching" pour parler de ce comportement que beaucoup d'entre-nous adoptent devant une série, et rendu d'autant plus simple ces dernières années par la chaîne Netflix qui propose de mettre en ligne la totalité des épisodes d'une saison et ainsi nous éviter l'effet d'attente. Ironie du sort, si Netflix nous rend maître de notre consommation, nous nous en rendons nous-mêmes esclaves, car le plus souvent incapable de poser des limites raisonnables à ce visionnage.
Le parti pris de l'actuel géant du streaming a aussi ses avantages et nous en reparlerons. Reste que le milieu de l'entertainment a parfaitement compris le potentiel addictif d'un tel objet de divertissement. Non contentes de nous abreuver d'une quantité ahurissante de programmes, les chaines télévisées se permettent également d'en faire durer certaines au-delà du raisonnable, allant jusqu'à gâcher l'oeuvre originale et provoquer la déception, voire la colère des spectateurs. Précisons que ce sont majoritairement les séries dites "feuilletonesques" qui usent le plus souvent de cette étirement abusif de la narration. L'autre type de série télévisée dite "sériel" et qui consiste à faire repartir la narration à zéro à chaque épisode (ex : Les Simpsons) ne nous concerne pas tant ici puisqu'il ne joue pas sur les mêmes mécanismes de continuité du récit.
III. Business et création
Une majorité des séries télévisées n’est pas pensée de A à Z dès le départ. Le plus souvent, l'efficacité commerciale de la formule et sa capacité à être étirée priment sur la cohérence du récit global. Les créateurs de Strangers Things (par exemple) n'avaient pas forcément l'idée (ni même l'envie) d'écrire une deuxième saison. Ils y ont été contraints par des logiques économiques et cela se ressent au visionnage. Le succès phénoménal rencontré par la série ne pouvait être classé sans suite. Netflix a souhaité maximiser son potentiel et a commandé une saison deux qu'il a donc fallu improviser ! Les contraintes du business ont pris le pas sur la logique créative et cela s’est ressenti tant cette saison deux s’est révélée décevante. Cela n’a pas empêcher Netflix de rempiler pour une troisième saison !
L'écriture en temps réel imposée par le rythme télévisuel a cependant ses avantages. Elle permet une forme de liberté créative qui peut être grisante en laissant les récits aller dans des directions inattendues. On pourrait parler d'oeuvres en "work in progress". Mais on pourrait aussi trouver cela quelque peu démagogique. En procédant ainsi, on est tenté de s'adapter aux réactions du public pour mieux le satisfaire, et ce, quitte à dévier de sa trajectoire initiale. A bien y réfléchir, un récit peut-il vraiment être co-construit par les auteurs et le public ?
Une fois soumis aux conditions de production et aux impératifs économiques, le rapport singulier au temps de la série feuilletonesque se révèle donc être une arme à double tranchant. L’expérience narrative est diluée au profit d'un empilement sans fin d'heures de visionnage qui finit souvent par lasser une partie du public. On entendra d’ailleurs souvent les spectateurs juger une série en fonction des saisons. Car si nous apprécions la narration feuilletonesque et son expérience rituelle, notre éducation à la fiction est telle que notre satisfaction de spectateur découle de récits clôturés.
IV. Des mots plus que les images
La longueur des séries télévisées induit un temps de production conséquent puisque qu'il faut tourner parfois plusieurs dizaines d'heures d'images afin de constituer une saison et remplir ainsi les cases de programmes des chaînes télévisées. Par souci d'efficacité, la dimension technique est alors ramenée à son minimum et diminue les possibilités d’expérimentations visuelles (mise en scène, montage, direction artistique) qui deviennent secondaires. Il est donc rarement possible de récréer les conditions d'une production d’un film de cinéma. La force expressive de l'oeuvre télévisuelle ne passera donc pas en priorité par l'image ou la mise en scène mais par la qualité de son écriture.
Par conséquent, le maître d'oeuvre d'une sérié télévisée n'est pas le metteur en scène, comme c'est le cas au cinéma, mais le scénariste principal que l'on appelle le "showrunner". Il est le scénariste en chef et le meneur créatif du projet. Ce glissement de rôle à un impact sur la forme finale du médium série. Un scénariste de formation n'aura pas la même sensibilité artistique qu'un metteur en scène. Aaron Sorkin ou David Lindelof ne pensent pas à la dimension visuelle de leurs oeuvres comme Steven Spielberg ou David Fincher. J.J Abrams réalisera un épisode pilote hautement cinématographique pour Lost puis laissera les scénaristes et l’écriture feuilletonesque prendre le dessus pour la suite. Dans le cas extrême des sitcoms, ce sont même les dialogues qui sont l'ossature des épisodes comme cela est le cas dans une pièce de théâtre. On comprend que les budgets alloués aux séries télévisées ainsi que les temps restreints de tournage soient des contraintes évidentes mais on notera que, malgré les mutations récentes qui ont vu des séries comme Game of Thrones hériter de budgets conséquents, la série télévisée continue de traiter son contenu dans le format qui lui est propre : celui du feuilleton.
En faisant glisser la figure « d'auteur » du metteur en scène au scénariste, on se retrouve avec un nouveau paradoxe, celui d'un médium visuel dont le moteur est l’écriture scénaristique et non la mise en scène et qui n'utilise donc pas sa dimension cinématographique à son plein potentiel. Comme le théâtre, la série télévisée va davantage user de dialogues afin de définir des personnages sous un angle psychologique. Le discours devient alors prépondérant. Mais une œuvre d'images ne peut-elle être pensée qu'avec des mots ? Et par un effet d'accumulation de matière filmée, ne risque t'elle pas de devenir un flux d'images inexpressif, devenant par là-même une pâle copie du feuilleton littéraire, une version filmée de celui ci ?
La suite ici : Les séries et nous Partie 2/2 : Séries vs Cinéma