JOHN WICK,PURE ACTION !
Une trilogie de Chad Stahelski et David Leight (2014,2017,2019)
Publié le 05 Juin 2019.
Vous êtes passés à côté de la franchise John Wick ? Il faut dire qu'en matière de marketing, Hollywood fait dans le générique dernièrement, au point qu'il devient difficile de séparer le bon grain de l'ivraie au premier coup d'oeil. Combien d'affiches de films avons-nous vues ces dernières années sur lesquelles un personnage masculin (le plus souvent Liam Nesson) tient un flingue dans la main sur un fond bleu/orange ? Oui, je sais...Beaucoup trop ! Reste que John Wick n'est pas un énième actionner oubliable, mais bien une véritable proposition de cinéma populaire, un vent frais qui redonne foi dans la capacité du cinéma d'action hollywoodien à se réinventer.
Un “actionner” romantique !
Ils ont tué son chien et volé sa voiture, il va tous les tuer ! Le pitch de John Wick prête à rire tant il semble grossier. Pourtant, la saga ne prétends pas dépasser le genre du cinéma d'action en le déconstruisant par l'ironie ou autres effets de distanciation. Au contraire, le film joue la carte du premier degré et nous présente, dès le premier volet, un héros meurtri par le décès de sa femme. Le seul souvenir qui lui reste d'elle, c'est ce petit chiot qu'elle lui a offert avant de mourir. Loin des clichés du actionner viril, John Wick paraît vulnérable (Wick/Weak ?) ce qui facilite l'empathie du spectateur et lui permet de s'identifier à ce héros humain, victime des blessures de l'existence. L'humiliation subie par le cambriolage de sa maison et son passage à tabac renforcera ce sentiment tandis que le meurtre du chiot, à la fois symbole de l'innocence mais aussi de l'amour de Wick pour sa femme, sera vécu comme ce moment cathartique et fondateur qui justifiera les actes violents du personnage au cours de la saga. Machine à tuer en quête de rédemption, John Wick est donc, chose rare, un actionner romantique !
Construire la légende
Si l'introduction du premier volet humanise le personnage, le deuxième acte construit sa légende. Le procédé d'écriture s'inverse alors. Wick est physiquement absent du cadre, mais plus que jamais présent par le récit qu'en font ses ennemis. On comprend alors que les petits mafieux qui s'en sont pris à lui ont commis la plus grosse erreur de leur vie ! Car John Wick est en réalité le tueur à gage le plus dangereux de la planète, la mort incarnée. Si les enfants craignent les monstres cachés sous leurs lits, les mafieux eux craignent John Wick, lui donne des surnoms, racontent en tremblant ses faits d'armes, forgeant ainsi sa réputation de croquemitaine. En jouant sur l'oralité et le hors champs, le film fait travailler l'imaginaire du spectateur et glisse alors par petites touches vers le conte horrifique.
Keanu Reeves is John Wick !
Le choix de Keanu Reeves achève de faire de John Wick un héros d'action singulier. Comme Tom Cruise, l'acteur appartient à la (nouvelle) vague d'actionner des années 90 au physique moins musculeux mais à l'allure souple et élégante. Son style de jeu emphatique est parfaitement raccord avec la tonalité de la franchise qui parvient à faire surgir l'humour de situations dramatiques sans pour autant en annuler la gravité. Reeves a d'ailleurs participé activement à la création du personnage avec lequel il partage des points communs (une maitrise stupéfiante des arts martiaux et des armes à feu) mais surtout des tragédies (Reeves a perdu sa femme dans un accident de voitures en 2001). Très populaire aux Etats-unis où il fait partie des personnalités les plus appréciées pour sa profonde humanité, l'acteur apporte au personnage un capital sympathie indéniable.
Un univers cryptique
John Wick, ce n'est pas qu'un personnage, mais un univers avec sa propre logique. Et plutôt que de nous en énoncer les règles, les créateurs ont préféré nous y plonger pêle-mêle et sans boussole. Un choix judicieux qui oblige le spectateur à s'intéresser à tous les aspects du film et pas seulement aux scènes d'actions. John Wick évolue dans un univers mafieux qui fonctionne par symboles, un véritable monde souterrain qui existerait en parallèle du nôtre et qui fonctionnerait comme une réalité alternative. Matrix n'est jamais très loin (la S-F en moins) et ce n'est certainement pas un hasard si l'on retrouve sur les deux franchises Keanu Reeves, Laurence Fishburne ainsi que l'un des deux réalisateurs, Chad Stahelski. Dans le monde codé de John Wick, de mystérieuses pièces d'or s'échangent et permettent aux agents d'accéder à des services spécifiques, les nouvelles se transmettent via une des systèmes des communication archaïques (ligne téléphonique, minitel) et les tueurs à gages trouvent protection dans d'immenses hôtels de luxe aux règles obscures. L'univers de John Wick est cryptique et d'autant plus fascinant qu'il ne sera jamais vraiment expliqué. Rarement un film d'action avait autant réussi à créer un univers aussi ludique que singulier, capable d'exister par la simple force de la suggestion et du hors-champs.
L'action sublimée
En matière de réalisation, John Wick n'est rien de moins qu'un re-formatage du cinéma d'action contemporain. Et pour remettre (enfin) le mouvement dans l'espace au centre des enjeux du genre, qui mieux que des cascadeurs professionnels aux postes de metteurs en scènes ? Chad Stahelski et David Leight ont fait de John Wick un véritable laboratoire d'expérimentation en la matière. De la fusillade à la course poursuite en passant par le combat au corps à corps et les duels à l'arme blanche, absolument tous les poncifs du cinéma d'action sont revisités et revigorés par une mise en scène millimétrée qui fait des personnages et non de la caméra le principal moteur de l'action. Oubliées la shaky-cam et les séquences illisibles (car sur-découpées au montage) de 80% des films d'actions actuels, les deux réalisateurs élaborent avec maestra des plans larges, longs et ultra composés dans lesquelles Keanu Reeves déploie un sens de la chorégraphie martial inouïe. Une mise en scène opératique pensée comme un ballet mortel et jouissif, où la violence s’esthétise jusqu'à l'abstraction. La progression spectaculaire de l'action, le multiplication et la variété des environnements, la synchronisation entre son/musique et images convoquent autant James Bond ou le cinéma d'arts martiaux que l'esthétique du jeu vidéo.
John Wick est à la fois un film populaire et une expérience de cinéma radicale, dans la droite lignée de George Miller et de son Mad Max Fury Road (2015). Ces œuvres redonnent toutes ses lettres de noblesse au genre action, expression la plus pure (depuis le cinéma burlesque et la comédie musicale) du langage cinématographique. Pensé comme une franchise, chaque film déploie avec intelligence un univers néo-noir riche et mystérieux et repousse toujours plus loin les limites d'une mise en scène qui concentre tout ce qui ce fait de mieux en la matière. C'est comme si les deux réalisateurs cherchaient à se faire pardonner pour tous les films d'actions fades produits ces dernières années ! Déjà adapté en bandes dessinées, en jeu vidéo, et bientôt de retour au cinéma pour un quatrième opus (le troisième, John Wick Parabellum, est actuellement en salle), John Wick est en passe de devenir un véritable phénomène et nul doute que Hollywood saura user de la franchise jusqu'à l'overdose. Reste que son existence même au sein du paysage cinématographique actuel est un petit miracle à ne surtout pas bouder.
Clément El Vassort.