ANORAAK,BEYOND SYNTHWAVE

Notre entretien avec l’un des pionniers du genre !

Publié le 19 Juin 2019.

En 2011, le film Drive a permis de faire connaître la synthwave au grand public en révélant des artistes comme Kavinsky ou College. Pourtant, trois avant le film de Nicolads Winding Reff, sortait en ligne “Nightdrive with you”, un EP signé Anorak, et qui traçait déjà les contours du genre aux sonorités rétro 80’s. The Look of Pop a profité du passage à Paris de ce pionnier de la synthwave pour le rencontrer. Producteur accompli mais aussi musicien et DJ aguerri, Frédéric Rivière aka Anoraak nous dit tout de son parcours, de ses goûts musicaux et de sa vision de la pop culture.

The Look of Pop: La synthwave est un genre qui à tendance à se codifier au fil du temps. Te considères-tu comme un artiste à part entière de ce mouvement ?

Anoraak : Pour tout dire, je ne fais pas vraiment de la synthwave ! J'ai commencé Anoraak comme un « side project » vers 2005/2006 alors que j'étais batteur dans des formations rock parce que ça me manquait de composer seul. L'idée c'était plutôt de faire de la pop music. J'avais mon ordi, un pauvre clavier maître, ma guitare, ma basse etc....Mais j'avais jamais vraiment fait de MAO avant ! Alors j'ai d’abord trouvé des sons qui me plaisait et qui étaient, oui disons un peu 80, mais surtout qui me ramenaient à des sonorités que j'aimais. J’ai commencé à construire ma musique avec ça et à la diffuser sur Myspace. Le fait est qu'un jour un des types de My Space (Etat-Unis) est tombé sur un de mes titres et à dit « Génial, on adore ! ». Ils m'ont mis en avant et le truc m'a un peu filé entre les doigts. Du coup, j'ai été mis en étau dans cette appellation « synthé 80 » qui pour être honnête m'a fait un peu chier au début !

The Look of Pop : Tu t'es dit « Ca y est, je suis dans une case ! »

Anoraak : Un peu ! Après, avec le temps j'ai compris que t'es toujours mis dans des cases, et tu ne choisis pas dans quelle case on va te mettre...à moins d'avoir un attaché de presse que tu payes 10 000 dollars par mois ! Mais je me suis vite rendu compte que c'était pas grave en fait. En plus, c'est vrai qu'à l'époque j'étais à Nantes avec d'autres gars qui faisaient le même genre de son très orienté « 80 ». On avait aussi une imagerie commune à travers les pochettes d'albums, par exemple, qui étaient assez marqués par l'esthétique de cette période.

L’EP par lequel tout à commencé ! La cover, marquée par l’imagerie des années 1980, est l’oeuvre du collectif The Zonders

L’EP par lequel tout à commencé ! La cover, marquée par l’imagerie des années 1980, est l’oeuvre du collectif The Zonders

The Look of Pop  : A Nantes tu as rencontré des artistes comme College ?

Anoraak : Oui College, Maethelvin, The Outrunners etc...Donc j'ai laissé un peu le truc couler. Plusieurs fois j'ai essayé de changer un peu mais jamais assez pour que le changement soit significatif. Et au bout d'un moment j'ai embrassé le truc en me disant, en fait c'est cool ça me dérange pas de toute façon ça reste de la pop music que t'appelles ça « 80 » ou pas.

The Look of Pop  : Pour avoir beaucoup écouté de filter house dans les années 2000 (Pierre de la touche, Lifelike, Alan Braxe etc...), j'ai l'impression que ta musique est davantage un prolongement de ce style musical marqué par une identité « french touch » assez disco/funk mais aussi par une touche rétro/futuriste qui annonçait déjà ce qui deviendra la synthwave.

Anoraak : Oui il y a un côté romantique assez similaire dans la genèse des sons. Et puis j'aime bien les trucs un peu moelleux, pas trop agressif ! D'ailleurs, la musique sur laquelle je bosse en ce moment va dans ce sens. Je reviens à quelque chose de fondamental dans la genèse de mon projet dans le sens où je suis un grand fan de disco ! Ce qui a été un peu un « guilty pleasure » pendant pas mal d'années quand j'étais un jeune rocker  ! Mais c'est cette passion pour le disco a toujours été là, et je pense qu'à l'époque, quand j'ai commencé Anoraak, j'étais pas assez fort pour faire les sons que j'avais envie de faire et je noyais un peu le poisson en faisant de la pop avec des influences disco mais déguisées. Maintenant, je sais comment faire pour faire des morceaux club/disco qui ne soient pas non plus de l'EDM dégueulasse et c'est ce que je fais en ce moment. Mais oui je viens du rock à la base !

The Look of Pop  : Tu faisais parti du groupe Pony Pony Run Run c'est bien ça ?

Anoraak : Oui entre autres. Pony Pony Run Run a été une étape. En fait, c'est un groupe de potes à la base. Avant ça, j'étais dans pas mal de groupes de rock indé. J'ai fais des tournées dans un camion pourris, j'ai été bassiste, guitariste, chanteur, batteur, c'est comme ça que je me suis fait la main en tant que musicien. Mes premiers groupes j'avais 13 ans. A l'époque j'écoutais du grunge. Pearl Jam, Alice in Chains etc...J'avais les cheveux longs, des jeans troués, j'étais à fond dans le délire ! J'ai commencé jeune mais je voyais pas la musique comme un métier potentiel. J'ai d'abord voulu faire des études d'ingénieurs, puis de son, et petit à petit j’ai dérivé pour finalement me rendre compte que le seul truc que je voulais vraiment faire c'était de la musique. Ca m’a pris du temps parce que j'ai plutôt été éduqué avec l'idée de trouver un vrai job et de garder les loisirs pour le week-end ! Reste que mes parents m'ont tout de suite supporté quand je leur ai dit que je voulais faire de la musique.

The Look of Pop  : L'arrivée d'internet a permis l'émergence d'une scène indépendante au sein de laquelle il est possible d'exister en tant qu'artiste auprès d'un public de niche forcément sans avoir à devenir une « superstar » et à se soustraire aux majors ? Est-ce que tu as l'impression de faire partie d'une génération d'artistes qui a pu bénéficier d'un changement de paradigme ?

Anoraak : Disons que c'est plus facile qu'à une époque ça c'est clair. Ceci dit quand j'ai commencé à la fin des années 2000 c'était déjà un peu le cas je trouve. Après, j'ai eu la chance que My Space (Etats-Unis) me mette en avant et c'est ce qui m'a vraiment aidé. Clairement ça m'a mis le pied à l'étrier. C'est ça qui a fait que mon public aux États-Unis s'est plus développé qu'ailleurs. Après, tu as toujours une part de choix, de prise de risque disons, mais aussi une part de chance, même si je pense que la chance s'attire.

The Look of Pop  : On sent dans chaque nouvel album ou EP l'envie de faire quelque chose de différent par rapport à ton travail précédent, même si l'ensemble de ta discographie reste cohérente.

Anoraak : Un peu oui. Et en plus à chaque fois ça m'a plutôt donné raison parce que Figure, le dernier EP que j'ai fait en 2016, dérivait déjà un peu de ce côté très « synthé » des premiers titres, et il a plutôt bien marché alors que j'avais fait aucune promo. Les gens se le sont appropriés, à tel point que je me suis retrouvé sur plein de playlists en ligne (et même dans la série You sur Netflix), ce qui m’a rassuré. Par la suite, on peut dire que Black Gold Sun est un EP plus « synthwave », même si encore une fois le terme convient pas trop. J’appellerai plus ça de la « retrowave ». Parce qu'au final, la synthwave aujourd'hui est davantage assimilée à quelque chose d'assez "dark", avec cette influence un peu métal qui colle pas forcément à ce que je fais.

Frédéric Rivière (Anoraak) à gauche lors d’un des ses lives électriques dont il a le secret !

Frédéric Rivière (Anoraak) à gauche lors d’un des ses lives électriques dont il a le secret !

The Look of Pop  : Tes prestations live sont assez imprévisibles dans le sens où tu ne fais jamais deux fois la même chose. Comme en janvier dernier à la Boule noire, où tu as joué avec un batteur et un claviériste, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.

Anoraak : Oui tout à fait ! Pour la West Coast party qui réunissait les anciens membres du collectif, Valérie je voulais me faire plaisir et jouer avec des amis et collaborateurs comme Antonin au clavier (l'ancien claviériste de Pony Pony Run Run) avec qui je bossais en duo depuis quelques temps et Guillaume mon batteur. Et comme je risque de ne pas faire de live avant la sortie d'un nouvel album c'était l'occasion. En attendant je fais des DJ sets parce que ça me plait bien. C'est en phase avec une période dans laquelle je suis qui est davantage une période de remixes et puis surtout ça fait du bien à mon dos parce qu'une clé USB ça pèse quand même beaucoup moins lourd que des amplis et des instruments !

The Look of Pop : J'aime beaucoup tes prestations DJ sets parce que ça te permet de montrer une autre facette de ta culture musicale. Dans des soirées « synthwave », comme la Retro Synth par exemple, la majorité des artistes produisent une musique assez codifiée, ce qui n'est pas du tout le cas de tes mixes qui sont un vent de fraicheur dans ce genre d'évènements et rappellent que la « synthwave » est plurielle et convoquent des influences plus larges.

Anoraak : Oui mes influences sont larges et ça a d'ailleurs toujours été ma galère numéro une quand les gens te posent la question qui revient tout le temps : « Ces quoi tes influences musicales ?! »

The Look of Pop: Tu te doutes bien que j'allais te poser cette question à un moment !

Anoraak : Alors ok dans ce cas si tu veux vraiment savoir on se fout au bar et on parle musique pendant quatre heures ! (rire). En vérité mes influences musicales sont très larges. Je suis un grand fan de Jazz, de la pop music des 80's comme Madonna, Prince ou Michael Jackson, mais aussi de disco et de funk, ce qu'on appelle vulgairement la Black Music. Sur ce point mes goûts sont assez précis dans le sens où le disco que j'aime se situe de 1974 à 1983 ! J'aime aussi beaucoup la musique africaine, nigériane ou malienne par exemple, avec des genres comme l'Afro-funk et l'Afro beat. Après la musique électronique c'est drôle parce que j'y suis arrivé assez tard vu que j'étais un rocker ! C'était à l'époque de Homework de Daft Punk (1997). A cette époque il fallait choisir son camps c'était soit t'écoutais du rock, soit t'écoutais de la techno, soit t'écoutais du reggae ! Et puis un jour j'ai entendu Daft Punk et j'ai fait : « Ah merde, je crois que j'aime bien en fait ! » (rire). Mais parce que il y avait dans leur musique ce côté un peu disco qui venait me caresser dans le sens du poil. Je bossais dans une radio à cette époque là, et comme j'avais pas grand chose à faire je passais mon temps dans le rayon CD des arrivées. Ca recouvrait une pièce entière et j'écoutais tous les nouveautés de l'époque. Bob Sinclar à l'époque de Gym tonic ou encore Dax Riders par exemple. Ces mecs ils ont réussi à faire de la techno french touch, mortel ! Du coup j'ai découvert tout ça et j'ai commencé à « digger » à fond ce genre de musique et c'est ce qui a finit par ressortir dans mes premières prods je pense.

The Look of Pop  : La synthwave est connecté à une imagerie qui s'est formée en grande partie grâce au cinéma hollywoodien des années 80. Est-ce que le cinéma a influencé ta musique d'une manière ou d'une autre ?

Anoraak : Oui fatalement le cinéma m'a influencé, mais te dire comment pourquoi et quel type de cinéma c'est compliqué. Je citerai tout de même Blade Runner , même si la musique n'est pas vraiment synthwave parce que c'est beaucoup de la nappe à la Vangelis, mais c'est surtout un film d'anticipation incroyable et hyper novateur même encore maintenant. Après, musicalement parlant, si on devait s'approcher de ce côté synthwave et 80’s je citerai la série Miami Vice qui m'a vraiment marqué dans mon enfance. Ce générique de Jan Hammer est juste barjo ! Et pas que la musique mais toutes les images aussi. A l'époque ou Michael Mann à produit cette série il cherchait à être à contre-courant de ce qui se faisait à l'époque et il a inventé des codes esthétiques qui n'existaient pas vraiment. Tout ce côté « néon », costumes en V Armani etc...En gros toute l’esthétique que l'on colle aux années 1980 aux États-Unis vient de là !

Les années 1980, c’est une période où tout a été essayé et qui est assez indéfinissable musicalement en fait
— Anoraak

The Look of Pop  : Dans les années 2000, l'autre élément matriciel de tout l'imaginaire 80's pour ma génération est venu du jeu vidéo avec GTA Vice City (très inspiré de Miami Vice/Scarface) et notamment des diverses radios spécialisées qu'on peut écouter dans le jeu en conduisant. Chacune radio délivrait une sorte de « best of » d'un genre musicale de l'époque, du rock au funk en passant par la new wave, mais l'ensemble était assez révélateur d'une esthétique commune aux années 80.

Anoraak : La carte que je sors quand on veux me faire rentrer dans la case « 80's » c'est de dire que les années 1980 c'est une période où tout été essayé et qui est assez indéfinissable musicalement en fait. Pour moi Bob Marley c'est autant les années 80 que Madonna, Prince ou Chic. Dans GTA, les radios sont calquées sur les radios américaines. C'est très spécialisé et codifié. D'ailleurs Spotify ne fonctionne pas différemment aujourd'hui quand tu y penses. Les États-Unis, comparés à la France, c'est un autre monde. Et quand tu aimes un genre particulier, comme le disco dans mon cas, c'est tout simplement génial !

The Look of Pop  : Oui, on l'impression qu'aux État-Unis les genres ne sont pas aussi cloisonnés que chez nous. Un mec comme Travis Barker peut faire du punk-rock et du hip-hop sans que cela pose problème. Dans le film 90's de Jonah Hill, on voit que la culture skate et hip-hop fusionnent naturellement, ce qui n'était pas forcément le cas en France.

Anoraak : Oui, je me souviens que dans les années 1990 en France tu avais plusieurs types de skateurs. La majorité écoutait du rock forcément ! Et puis il y eu l'apparition des mecs qui écoutaient du hip hop et on trouvait ça bizarre au début ! Plus tard, tu as même eu des skateurs qui écoutaient de l'électro ! En réalité, ce qui se passait dans le petit microcosme du skate était assez révélateur de ce qu'il se passait dans la musique en général. J'ai un ami qui s'appelle Brett Novak qui s'est fait connaître en faisant des vidéos de skate. Il avait fait une vidéo avec en soundtrack du Patrick Watson, donc un truc un peu folk, et là on s'est dit : « ah ouais c'est plus ni du punk, ni de la techno, c'est encore autre chose ! »

The Look of Pop  : La transition des années 2000/2010 est également une période très intéressante. Le rock s’est dissous dans dans d'autres genres plus populaires comme le hip hop, qui lui est sortie d'une vague un peu « bling bling » pour rentrer dans une ère plus électronique. Les instrus du « cloud rap », par exemple, ne sont pas sans rappeler la synthwave !

Anoraak : D'autant que les codes de la synthwave ont été repris dans beaucoup de genres musicaux. La manière dont les tracks sont produits aujourd'hui aux États-Unis, c'est très particulier. Ils montent des « pools» de producteurs, comme le fait Netflix avec ses scénaristes. Parfois, tu peux te retrouver avec cinq mecs qui vont juste bosser sur les sons de drums, et six autres mecs qui vont faire que des « toplines », en gros des accroches musicales. Et pour faire un son de hip-hop, ce sont pas forcément des gars qui viennent du hip-hop qui vont s'y coller. Ca peut-être des mecs qui sont des fans de synthwave par exemple, et qui vont faire des petits bouts de musique. Et puis en bout de ligne tu as un producteur final qui va trancher. Diplo travaille comme ça depuis des années.

The Look of Pop : Est-ce que ça n'accouche pas d'une musique mainstream un peu informe du coup ?

Anoraak : Oui, mais parfois fois tu as vraiment des trucs de fous ! Parce que ces gars sont là pour faire la somme de tout ce que les petits artistes indés font. Ils se disent : « prenons le meilleur de ces artistes et essayons de les faire matcher ». Ca reste de l’expérimentation d'une certaine manière. C'est juste que c'est très à l'américaine avec un mec en bout de chaine qui va signer le truc. Mais beaucoup d’artistes contemporains travaillent comme ça. Jeff Koons c'est pareil ! Il a l'idée, et c'est vingt mecs qui l’exécutent. Au final, c'est très symptomatique de l'époque dans laquelle on vit. C'est un peu de la poudre au yeux certes, mais si la poudre est belle quelque part pourquoi pas ! L'autre fois j'écoutais un son de Ariana Grande qui sonne un peu emo année 90 mais avec une basse DX7 apparenté synthwave et d'autres sonorités plus hip-hop et même minimal, bref, un collage d’éléments. Et le résultat est à tomber par terre ! Evitons le « syndrome Jean-Pierre Bacri », ce truc très générationnel qui fait que tout ce qui est nouveau est moins bien que ce qu'on a vécu. Aujourd'hui il y a plein de trucs que j’aime pas, mais de temps en temps je tombe sur des choses vraiment intéressantes et tant mieux. Que la musique vive !

Inteview mené par Clément El Vassort.

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